19 juillet 2011

Lehman Sister, Chief risk officer chez les "Brothers"

Pendant quelque temps, il fut "de bon ton", parmi les chroniqueurs, d’affirmer que les ravages de la dernière crise financière n’auraient pas été aussi dramatiques si les femmes étaient plus nombreuses parmi la haute hiérarchie des institutions financières. Dans quelle mesure la situation n’aurait-elle pas été différente si le machisme avait été moins clairement présent, si Lehman Brothers avait fait place à Lehman Sisters?

Nous assistons aujourd’hui à un renforcement de la présence des femmes à la tête des institutions financières internationales. Outre Christine Lagarde, qui vient d’être nommée directrice générale du Fonds Monétaire International, Madelyn Antoncic est devenue vice-présidente et trésorière de la Banque mondiale.

Un signe d’espoir? Selon le président de la Banque, Robert Zoellick, certainement: "Connue pour sa franchise, Madelyn apporte à la Banque une vaste connaissance des tenants et des aboutissants du monde financier et elle a démontré ses qualités de dirigeant, d’innovation et d’intégrité".

Nous sommes curieux de voir où elle a fait ses preuves. Apparemment, elle a successivement occupé, entre 1999 et 2008, les fonctions de Directeur de la politique des risques, Directeur de la gestion des risques "Marchés" et, pour finir, Chief Risk Officer chez… Lehman Brothers. Nous ne connaissons guère de détails sur le rôle que Sister Antoncic a joué chez Lehman Brothers, mais en tant que Chief Risk Officer, elle disposait quand même de quelques atouts pour mener le navire Lehman à bon port dans des eaux tortueuses. L’aveuglement face au risque, lié à un afflux de testostérone, ne serait-il donc pas un comportement uniquement masculin…?

Le libre-échange sans contraintes sociales

Ce genre de personnage est donc appelé, avec le FMI, à dicter la marche à suivre dans le monde entier. Voilà bien qui confirme que nous en sommes revenus au "business as usual", et cela préserve de la naïveté ceux qui ont trop rapidement cru qu’un nouvel ordre mondial naîtrait sur les ruines du consensus de Washington.

Les termes "consensus de Washington" évoquent l’amalgame de conceptions économiques néolibérales qui, pendant des années, étaient dominantes parmi les économistes et les dirigeants politiques et qui ont également constitué le schéma de pensée des institutions financières internationales établies à Washington, en particulier la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International.

La rigueur budgétaire avant tout, s’il le faut aux dépens d’institutions publiques essentielles telles que l’enseignement et les soins de santé, le libre-échange sans contraintes, la libre-circulation des capitaux, un marché de l’emploi très flexible, vous-mêmes connaissez aussi les recettes que beaucoup de pays (en voie de développement) désireux d’obtenir une aide du FMI ou de la Banque mondiale ont été contraints d’appliquer.

En apparence, la crise financière, qu’aucune des deux institutions financières n’avait vu arriver à temps, semblait provoquer l’effondrement de cette pensée dominante. Le FMI, par exemple, n’hésitait pas à reprendre les vieilles traditions keynesiennes et à conseiller aux Etats de laisser filer le déficit budgétaire pour relancer la machine économique.

Aujourd’hui, le sort réservé à la Grèce démontre qu’il ne reste manifestement plus guère de traces de tout cela. DSK a eu toutes les peines du monde à parvenir à ce que le FMI change de cap. Lagarde va-t-elle vraiment essayer?

Le crédit de Madelyn Antoncic

A la Banque mondiale aussi, on observe le même retour aux thèses connues. Le nouvel instrument financier que la Banque mondiale a imaginé avec la banque d’affaires américaine JP Morgan pour combattre la volatilité des prix des denrées alimentaires ne laisse en tout cas rien présager de bon.

Plusieurs agences des Nations Unies avaient déjà indiqué que l’envolée des prix des denrées alimentaires était principalement due aux marchés financiers, qui utilisent des produits dérivés pour spéculer sur les marchés des denrées alimentaires.

Pour protéger les petits fermiers de l’hémisphère sud contre les importantes fluctuations des prix, la Banque mondiale veut désormais simplement leur permettre d’avoir accès à ces instruments financiers. Je me demande vraiment qui sera gagnant dans cette affaire: les petits producteurs de denrées alimentaires ou plutôt… JP Morgan? Tout comme je me demande dans quel camp Madelyn Antoncic se trouvera…

Bien sûr, elle aussi mérite du crédit au moment de prendre ses fonctions. C’est ce qu’on appelle "le bénéfice du doute". Mais il faut déjà être un prêteur particulièrement machiste pour accorder autant de crédit à une Lehman Sister.

Renaat Hanssens,
Conseiller service d’étude CSC

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire