22 juillet 2011

La norme salariale… vue autrement

Ils sont rares mais heureusement ils existent encore, les économistes qui n’ont pas abandonné toute vision indépendante et qui osent développer une réflexion critique face à des postulats acceptés de tous. En ces temps où notre propre Banque nationale multiplie sans broncher les propos négatifs à l’égard de notre mécanisme d’indexation des salaires, il est réconfortant de voir que Fons Verplaetse, gouverneur honoraire de la Banque nationale, fait sa propre analyse sur les salaires et la norme salariale.

Chacun sait que depuis l’instauration de la loi belge sur la norme salariale, l’évolution de nos salaires est liée à l’évolution des salaires dans nos trois pays voisins, à savoir l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. Le poids attribué à chaque pays est proportionnel à l’importance de son Produit intérieur brut (PIB). De ce fait, l’évolution des salaires en Allemagne est celle qui pèse le plus lourd dans la détermination du salaire moyen de référence auquel nos salaires sont comparés. Compte tenu de la politique dure de modération salariale menée ces 10 dernières années par l’Allemagne, le fait de respecter l’évolution moyenne des salaires ne s’avère pas chose aisée. On constate d’ailleurs aussi qu’aux Pays-Bas et en France, les salaires suivent plutôt l’évolution normale de la productivité et augmentent donc nettement plus rapidement que les salaires allemands.

La majorité des économistes répètent comme un mantra que la Belgique souffre d’un handicap des coûts salariaux et que la maîtrise de ces coûts constitue une absolue nécessité, de préférence en supprimant le mécanisme d’indexation automatique des salaires, qui serait responsable de ces "dérapages salariaux intolérables".

Toutes les questions critiques sur les longues années de modération salariale allemande, sur leur influence négative sur la demande intérieure allemande et sur le sous-développement du secteur des services en Allemagne seraient autant de fausses notes que l’on n’entend pas au sein de ce chœur de convaincus. Aucune voix ne s’élève pour faire remarquer qu’en raison de la loi sur la norme salariale, la Belgique est obligée d’adopter partiellement la modération salariale allemande, malgré la rentabilité plus qu’honorable de nos entreprises.

Le plaidoyer tenu par Fons Verplaetse fin juin dans "Knack" (22.06.11) est donc très agréable à entendre. Prendre le PIB comme facteur de pondération pour comparer nos salaires à ceux des pays voisins n’est, selon Verplaetse, pas une très bonne idée. Ce qui compte, c’est le poids de nos voisins dans les exportations mondiales totales. C’est en effet sur le marché des exportations que la Belgique doit concurrencer ses voisins. Si l’on prend comme facteur de pondération la part de chaque pays dans les exportations mondiales, les salaires néerlandais ont un poids nettement plus important. Le handicap salarial qui s’élevait en 2010 à 3,9% avec la méthode de pondération du PIB est ainsi réduit à 2%. Si l’on en déduit les 1,6% de subsides salariaux pour les entreprises, il reste un handicap de 0,4%. Qui a parlé de dérapage salarial?

Verplaetse profite de l’occasion pour souligner les véritables défis pour notre économie. On constate que les coûts d’importation ont augmenté en moyenne de 1,7% entre 1996 et 2010, contre 0,7% seulement chez nos voisins. La part importante de l’énergie dans nos importations n’y est certainement pas étrangère. Les coûts d’importation sont importants puisqu’ils représentent 42% du coût de nos produits, contre 30% pour les salaires. La différence est importante par rapport aux pays voisins, où les salaires constituent en moyenne 42% du coût alors que les coûts d’importation ne représentent que 16%. Verplaetse en conclut que si l’on parle de compétitivité au niveau des coûts, le problème se situe surtout au niveau des coûts d’importation pour la Belgique et au niveau des coûts salariaux pour nos voisins.

Si l’on n’a que peu ou pas d’impact sur les prix à l’importation, on en a d’autant plus sur d’autres éléments structurels. C’est ainsi par exemple qu’en comparaison avec nos voisins, nos entreprises sont sous-représentées dans le secteur des hautes technologies ou dans les services intensifs en connaissance. Nos voisins obtiennent de meilleurs résultats en matière de formation sur le lieu de travail et de dépenses pour la recherche et le développement et les TIC. Ces handicaps structurels constituent le facteur déterminant pour la perte de parts de marché sur le marché des exportations, et non le handicap salarial que l’on ne cesse de gonfler artificiellement. Nos voisins bataves en sont la meilleure preuve: avec une évolution salariale nettement plus marquée que chez nous, les Pays-Bas enregistrent encore de légers gains en parts de marché entre 1996 et 2010 et réalisent un excédent de 7% du PIB sur le compte courant de la balance des paiements…

Renaat Hanssens, conseiller service d’études
Luc Cortebeeck, président

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